Le 11 décembre :
Nous reprenons des forces après la traversée du passage de Drake, entre le Cap Horn et l'archipel des Shetlands du Sud. Le temps a été clément pour nous, mais le froid nous a pas mal fatigué. On peut enfin mettre le chauffage : la température monte à l'intérieur, 1°C, 5°C, 10°C.... on atteint un confortable 18°C. Nous sommes à l'ancre dans l'anse de Telefon Bay : la carte marine n'est pas correcte car la géographie du lieu a changé depuis la dernière éruption volcanique. L'abri est quand même sûr. Les phoques se prélassent tout autour. Le soir, le vent s'éteint et le ciel s'éclaire : le ciel bleu illumine tout le paysage, nous en profitons pour faire un tour à terre "reportage animalier". Tout est tellement calme que nous n'osons pas utiliser le petit moteur hors-bord de l'annexe, pour ne pas troubler le silence absolu. Nous prenons les rames. Les pingouins curieux nagent vers nous puis sortent de l'eau debout, à moins d'un mètre face à nous ; échange de regards, c'est magique.
Le 12 décembre :
La nuit est parfaitement calme et très claire. La nuit noire n'existe pas en cette saison, dans le bateau on peut encore lire sans lampe à minuit. Le soleil fait à peine un petit tour derrière l'horizon avant de réapparaître. Au réveil nous établissons un plan de bataille pour profiter de notre journée, car nous avons une fenêtre météo pour partir le soir même vers l'Antarctique. Nous nous dirigeons vers la partie "active" du volcan : les sources chaudes de Pendulum's Cove. L'eau est à 50°C par endroits. Anaïs regrette de ne pas avoir pris son maillot de bain. Les pingouins s'en donnent à coeur joie, et on peut distinguer leurs petites silhouettes diparaître dans la fumée. Nous retrouvons l'annexe surgonflée, car nous avions oublié de prendre en compte la température. A priori sans dégât, heureusement. Nous allons ensuite vers "Whaler's Bay", où se trouve une ancienne usine de baleiniers. Nous visitons les ruines des bâtiments, à moitié détruits par des coulées de boue lors de la dernière éruption volcanique. Les silos à graisse de baleine font une taille impressionnante, nous pouvons même entrer dans l'un d'eux. Surprise derrière les ruines : un champ de mousse verte, qui réussit à survivre aux conditions hostiles des lieux. Un peu de couleur pétillante dans un monde en noir, blanc, et bleu. Comme prévu, nous partons le soir même pour l'Antarctique.
Le 13 décembre :
Nous arrivons par des conditions assez rudes dans le détroit de Gerlache, qui sera notre refuge tout au long de notre périple en Antarctique. Sous les nuages, nous découvrons un paysage hors du temps, qui semble être d'une autre planète. Il faut s'imaginer les Alpes en hiver, avec une couche de neige 10 fois plus importante, et les vallées remplies par la mer. Le blanc immaculé recouvre tout, sauf les pics immenses qui émergent parfois. Vers 14h00 nous arrivons enfin à notre mouillage : il s'agit d'une épave de baleinier, à laquelle nous nous ammarrons. Les habitantes du bateau, les sternes arctiques, n'ont pas l'air d'apprécier notre arrivée. La traversée nous a fatigué, ce sera donc repos pour tout l'équipage. Le soir, nous décidons de prendre l'annexe pour aller faire un tour parmi les icebergs environnants, mais nous rentrons vite que le vent souffle et nous sommes rapidement humides.
Le 14 décembre :
Nous sommes réveillés par le son de zodiacs : c'est un ferry qui est dans le coin, et les passagers font un tour autour du baleinier ! Nous sommes l'attraction apparemment. Il fait un temps absolument magnifique aujourd'hui. La température atteint +7°C, sous un grand soleil. Nous refaisons un tour en annexe, mais cette fois ci le vent est inexistant, ce qui nous permet de nous aventurer plus loin. Nous prenons de très belles photos. En passant dans l'arche d'un iceberg, nous surprenons un phoque qui pêchait là. Nous pouvons débarquer sur une plage graveleuse pour voir une colonie de phoques.
Le 15 décembre :
Nous voulons nous lever tôt mais le réveil ne sonne pas... En effet une dépression est annoncée pour le soir, et nous voulons profiter du vent qui se lève peu à peu pour mettre les voiles et "surfer" jusqu'à Port Lockroy. Finalement nous partons à 9h30, sous spi, lunettes de soleil, crème solaire, +8°C. Nous n'en croyons pas nos yeux ! Nous pouvons même enlever les vestes de quart et des couches de pulls et polaires. La neige fond et nous entendons les détonations des avalanches au loin. Les pingouins escaladent les icebergs pour se faire dorer au soleil, et nous regardent nonchalemment, ou bien imitent les dauphins en bondissant dans le sillage ou dans l'étrave du bateau. Peu à peu, le vent se lève, les nuages guettent... C'est finalement sous un vent qui souffle à 40 noeuds en rafales et sous la neige que nous arrivons le soir à Port Lockroy. Nous posons l'ancre juste à côté d'un autre voilier, "Spirit of Sydney".
Le 16 décembre :
Le jour se lève assez nuageux mais le vent s'est calmé. Nous en profitons pour aller à terre avec l'annexe. Port Lockroy est le lieu le plus visité de l'Antarctique : 20 000 visiteurs par an, soit en moyenne un ferry par jour en été, de fin novembre à mars. Il faut appeler à la VHF et réserver un horaire avant de débarquer ! Finalement nous débarquons alors que les passagers du ferry "National Geographic Explorer" s'apprêtent à repartir. Il faut y aller immédiatement car un autre ferry est prévu pour l'après-midi. Port Lockroy est une ancienne base anglaise reconvertie en musée et magasin de souvenirs. Les bâtiments sont très bien renovés. Toute la base est colonisée par les pingouins "gentoo", qui ont l'air complètement indifférents aux allées et venues humaines. Ils empruntent les mêmes chemins que nous, nichent à 2 mètres de l'entrée du musée. Leur démarche est rigolote, car avec leurs courtes jambes ils sont très maladroits et se cassent sans arrêt la figure. Le soir, le glacier situé au fond de la baie relâche des morceaux de glaces qui viennent taper contre le bateau. Nous déplaçons le bateau de quelques centaines de mètres.
Le 17 décembre :
L'objectif le plus austral de notre voyage est la base ukrainienne Vernadsky, latitude 65°15'S. A Port Lockroy, tous les avis convergent : on nous dit que le canal Lemaire est bloqué par les glaces. Nous allons voir, et effectivement, au 64°59'S, le Brise de Mai doit faire demi-tour, la progression devenant impossible. Nous n'avons plus qu'à espérer un vent de nord qui chasse tous ces débris. Nous choisissons de nous diriger vers "Paradise Harbour", et la base argentine Almirante Brown. Le soleil tape et le vent nous pousse à 8 noeuds vers l'endroit au nom évocateur. Nous posons l'ancre devant les flashs de touristes qui nous ont précédé là à bord d'un ferry. Nous nous réfugions à l'intérieur du bateau.
Le 18 décembre :
Nous nous levons tard, il fait déjà +7°C dehors et du coup il fait +22°C dans le bateau, nous étouffons ! Nous aérons tout. Bientôt +10°C, +11°C dehors. Nous allons visiter la base scientifique argentine "Almirante Brown", habitée uniquement par les pingouins. C'est la première fois que nous mettons vraiment le pied sur le continent Antarctique, car les autres escales étaient toujours sur des îles ! La neige fond. Dans le silence absolu de l'Antarctique, on entend les glaciers craquer, les avalanches détonner au loin, et les blocs de glace qui tombent dans la mer bercent à chaque fois le bateau d'une petite vague. Même les icebergs se font plus rares dans la baie de Paradise Harbour. Cela nous redonne l'espoir de pouvoir traverser le canal Lemaire demain.
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